Crises sanitaires et nouvelles façons de travailler : quelles opportunités ?

11 mai 2020 – 11 mai 2022 : il y a deux ans jour pour jour, nous sortions du confinement (le premier). Qu’en reste-t-il dans le monde du travail ? Et si chaque crise n’avait de sens que pour ce qu’elle nous permet d’apprendre ?

 

Article issu pour partie d’une conférence donnée au Puy en Velay le 15 avril 2022

La Covid s’est brutalement imposée dans nos vies et l’on en sort individuellement et collectivement différents de ce que l’on était en y entrant…  Elle a révélé des besoins nouveaux, joué un rôle d’accélérateur de changements antérieurs à diffusion lente tels que le travail à distance.

In fine, quels changements, quels apprentissages, quelles opportunités cette crise laissera-t-elle… ? Après l’exploration des apprentissages issus de ces changements, je vous propose d’ouvrir quelques pistes des opportunités qui pourraient se faire jour.

1- Les apports de la sémantique et le concept de choix

En chinois, le concept de crise s’écrit avec deux idéogrammes signifiant danger (le virus) et opportunité (ce qu’on pourrait en apprendre). Le choix de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre relève de l’individu et du collectif.

Décider de ne pas décider entre ce qui relève du danger et de l’opportunité, ni de la nature de ce changement (1 ou 2 ?), ni du stade d’apprentissage auquel il renvoie (3 ou 4 ?), c’est aussi faire un choix conscient voire inconscient : celui de minimiser les impacts du changement et de ne pas vouloir aller au-delà des enseignements déjà tirés[1].

A-t-on vraiment envie de voir plus loin ? Y a-t-on un réel intérêt ? En a-t-on le savoir ? En a-t-on le pouvoir ? Comme le dit le renard au Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »[2]. On peut donc aussi faire le choix conscient de changer sa perception du monde si on le souhaite.

2 – Choisir de voir des opportunités

Dès lors que la vision du seul danger du virus me semble délétère, j’oriente volontiers ma vision du monde de demain et mon approche du changement induit par cette crise par le sens des opportunités que cette crise nous offre. Celle d’un monde plus durable dans son modèle de développement, plus sécure pour le monde du vivant, plus conscient des interactions systémiques, plus attentif à la qualité des relations qui nous relient les uns aux autres… « La bonne nouvelle, c’est que l’humanité, c’est nous ».[3]

Ce sont des visions qui ont aussi un impact sur le monde du travail et plusieurs opportunités sont apparues durant la crise pour autant qu’on sache les capter, les documenter, leur donner la valeur qu’elles pourraient mériter.

1 – Opportunité d’une nouvelle perception de la relation à soi et aux autres… ?

Cela peut passer par des choses très concrètes comme être attentif aux autres tant cette crise a démontré combien notre besoin d’affiliation à un groupe était important pour se sentir confiant dans l’adversité : c’est la force du groupe et de la place qu’on y occupe qui nous a soutenu au plus fort de la crise, même par des « cafés-Zoom » ou des « apéros-Teams ». Comme être humble face à l’épreuve pour mieux l’affronter : on ne peut pas tout maîtriser dans une crise (et ce serait épuisant), en revanche, on peut choisir d’agir sur ce sur quoi on a une véritable influence. On a aussi développé de nouvelles compétences avec la crise pour affronter les défis, notamment en termes relationnels ou informatiques. On a également singulièrement renforcé notre autonomie, c’est-à-dire cette capacité à décider de nos propres actes en étant conscients des liens avec les autres. Cette nouvelle relation aux autres offre une opportunité extraordinaire de nourrir nos besoins psychologiques[4] essentiels dans un cadre professionnel : elle est nativement aussi efficace et plus durable que nombre de politiques de qualité de vie au travail !

Dans la relation à soi et aux autres s’ajoute aussi la question de sa relation au monde et de l’Environnement Social et de Gouvernance (ESG) de plus en plus intégrée dans le business model des organisations au titre d’une nouvelle vision de leur Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE).

2 – Opportunité d’une nouvelle perception des organisations du travail… ?

La révolution technologique liée à la digitalisation déjà en œuvre avant, accentuée par la crise, va se poursuivre. Parce que les progrès de l’intelligence artificielle se diffusent. Des « robots-collègues » aident désormais les serveurs dans des restaurants à Mâcon, dans la Drôme, dans la Manche… et ça marche ! Parce que la digitalisation représente une forme de garantie de continuité de l’activité économique et qu’elle a permis de rester en contact au plus chaud de la crise sanitaire. L’économie numérique constitue en soi un efficace geste barrière !

Des communes comme celle de Roanne ou la région Île de France au moment de son déménagement de Paris à Saint Ouen ont fait le choix du flex-office. Si à Roanne, il reste autant de bureaux que d’agents, en Île de France, le ratio est de 6 bureaux pour 10 agents. Dans les deux cas, les organisations du travail ont bougé.

Comment concilier les possibilités de la technologie dans le monde du travail qui suppose la protocolisation et la standardisation des processus dans un monde « VUCA » (Volatil, Incertain, Complexe et Ambigu) ? La question du travail salarié, posté, hiérarchique, stable pourrait même se trouver challengée. Il est possible que des scenarii de « super intérim » et de « taylorisme new age » se développent et avec eux un travail de plus en plus à distance, virtualisé et flexible[5]. La complexité croissante du monde démontre combien l’agilité compte, notamment dans des changements de grande ampleur (type 2).

Pour les plus experts et autonomes, le développement de plateformes de travail apprenantes, collaboratives et virtuelles pourraient s’imposer. Des modèles transdisciplinaires ont éclos pendant la crise sanitaire et ont aidé aux partages de connaissances et à la recherche.

Quelle que soit l’organisation, une évolution vers des systèmes d’organisation où le mode collaboratif s’exprime encore davantage semble vraiment émerger. Rappelons à cet égard que parmi les pays occidentaux, la France se range dans les organisations les moins apprenantes et qu’il a donc de beaux gisements d’engagement dans le travail à saisir.

3 – Opportunité d’une nouvelle perception de la gouvernance…

La question du sens vient potentiellement interroger aussi celle de la gouvernance dans l’organisation du travail. Au-delà de la question du sens déjà évoquée, je veux soulever ici le sujet de la gouvernance la plus efficace pour accompagner les transformations soutenues par des changements d’ampleur, par exemple de type 2.

Les logiques « bottom up » ont fait la preuve de leur efficacité, agilité et réactivité pendant la crise. Cela renvoie aux travaux de Frédéric Laloux sur l’avenir des organisations Verte ou Opale[6], voire sur l’entreprise libérée aussi. Vinet Nayar, le père du management par la confiance, l’avait déjà documenté avec sa pyramide inversée mettant les salariés au coeur[7]. La Cpam du Rhône construit sa transformation depuis cinq ans en partant du « travail réel », c’est-à-dire du quotidien, de la base de la pyramide.

Ceci pousse ici ou là des sujets de transformations managériales profondes, une réingénierie des dispositifs de délégation, une réflexion sur les processus de décisions. La mise en avant du principe de subsidiarité pour modéliser le process de décision exprime le besoin de (re)mettre le décideur au bon niveau dans la chaîne de responsabilités de l’organisation.

Dans un monde de crises répétées, le Dr Goodwin expérimente à son niveau des logiques de gouvernances renouvelées de pyramide inversée, de subsidiarité, d’organisation apprenante où l’engagement du leader et de chacun des membres de l’équipe est très fortement sollicité. Pas si simple… Mais quand un comportement individuel change, c’est le système tout entier qui bouge.

Cela ne retire rien au dirigeant, au contraire. Il se positionne différemment. Je suis assez fan des méthodes managériales du Dr Goodwin dans la série télé « New Amsterdam » car il bouscule la bureaucratie à sa façon avec sa formule magique inversée « comment puis-je vous aider ? ».

Quand on ajoute le sens du travail, le besoin d’affiliation, les nouvelles compétences, la croissance de l’autonomie et le reste…, on se dit que cette crise aura fait croître beaucoup de matières à réflexion ; elles plaident pour une autre vision du monde, un approfondissement des transformations du monde du travail. Sur certains points, tout au moins… Pour cela, il faut déjà commencer par faire l’effort de chercher ce que l’on a appris…

Patrick BOÏS – 9 mai 2022


[1] Voir la notion de Will Schultz développée dans l’Elément Humain

[2] « Le petit prince ». Antoine de Saint Exupéry

[3] « On récole ce qu’on sème ». Article de Laurent Bibard, professeur en management et titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité – ESSEC

[4] Voir les modèles de Deci et Ryan sur l’autodétermination et l’eudémonie

[5] Voir les travaux de Salima Benhamou – Rapport prospectif sur l’avenir du travail en 2030 ? – France Stratégie

[6] Frédéric Laloux « Reinvinting Organizations »

[7] Vineet Nayar « Les employés d’abord, les clients ensuite »