Un leadership de la transformation (Colibri)

J’ai lu un ouvrage passionnant publié récemment, écrit par Patrick Négaret [1], directeur de la Cpam des Yvelines pendant 11 ans jusqu’à son départ en retraite, il y a quelques semaines. Il est connu pour son esprit d’entreprise et son goût pour l’innovation. J’ai le plaisir de le connaître et j’ajouterais que ce gestionnaire est aussi un humaniste engagé et un homme fidèle.

Ce livre raconte le parcours de la transformation managériale qu’il a suscité à la Cpam des Yvelines, paquebot de 1600 salariés sur 30 sites lorsqu’il en prend la direction en 2010, 1200 salariés sur 15 sites en 2021. Au passage, les strates managériales sont passées de 6 à 3 niveaux, les résultats et la performance ont progressé et les indicateurs de satisfaction au travail aussi : 92% des salariés expriment un sentiment d’appartenance (+24 points), 94% une volonté d’être acteurs dans la vie de l’entreprise (+15 points).

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La couverture de l’ouvrage publié par Patrick Négaret en février 2021 dont il est question dans cet article. Il a reçu le prix du manager public de l’année en 2018.

 

Mais comment ont-ils fait ? Patrick Négaret répond modestement : « Il suffisait de leur donner envie » (le titre éponyme du livre) pour libérer les énergies internes. C’est aussi ce qui l’a motivé lui-même à la suite d’un échec qu’il a su surmonter en réorientant ses propres énergies internes pour se redonner l’envie d’agir et d’innover. Ici, c’est un échec qui est porteur d’un rebond vers une aventure à succès.

Un ouvrage sur la recherche de sens

L’auteur a toujours eu la chance d’allier plaisir et travail et ne se résout pas à ce que ce travail soit source de stress et de souffrance. Cette passion dans ce qu’il entreprend lui vient du sens de l’action et il imagine que cela pourrait donner envie aux autres aussi. Si le management donne du sens pour s’adapter au besoin des femmes et des hommes, il peut commencer à libérer les énergies et développer la performance. Conscient que cela prend du temps pour acculturer un collectif, il explique comment il s’y est pris, en commençant par des conférences d’inspiration au tout début pour aller jusqu’à de la médiation qui infuse au quotidien aujourd’hui… Il est conscient aussi qu’il faut rêver en grand pour entraîner l’équipe, avec bienveillance, sans devenir ni naïf, ni complaisant. La bienveillance se conjugue avec exigence et une fausse bienveillance deviendrait vite une complaisance délétère.

Un leadership de la transformation

A Versailles, cette transformation a pris un nom : Colibri pour Confiant, Libre et Innovant et par référence à la légende amérindienne popularisée par Pierre Rabhi. Il explique ce leadership de la transformation notamment dans les chapitres 3, 4 et 5 de l’ouvrage. Grâce à cinq leviers, on pour faire bouger une minorité influente et agissante de collaborateurs dans la transformation. Un sur cinq suffirait pour se mettre en mouvement dit-il. Ces leviers de conviction s’appuient sur le sens (pourquoi), l’autonomie, la confiance, la reconnaissance et la fierté d’appartenance. Cela semble simple mais est-ce toujours le cas ? Le micro-management reste encore une source de réassurance pour certains, les logiques de « command and control » demeurent très présentes dans les organisations (37 processus et 150 indicateurs dans le système de management intégré de la Cpam des Yvelines). Patrick Négaret a tenté d’exercer différemment le pouvoir, non par la crainte mais par l’envie, non par le savoir mais par l’humilité. Cela suppose de nouvelles postures de la part de l’équipe managériale et la démarche de transformation a beaucoup misé sur l’accompagnement des managers.

Un manuel et des outils

L’auteur tient à partager des clés, des outils pour réussir, lui qui se rappelle des effets contreproductifs des lois Auroux au tout début de sa carrière : non, une belle idée ne suffit pas. Il s’est inspiré d’un « Lean management » adapté, a mis en place des actions flash, une charte des réunions productives, du management visuel (l’arbre à idées), créé un club des innovateurs, l’innovation participative (likez, likez, il en restera toujours quelque chose !), travaillé sur la QVT, la chasse aux irritants (dite « chasse aux cailloux »), « merci collègue » etc… sans parler de la facilitation, de la refonte des processus de recrutement, du parcours d’intégration, de l’entretien d’évaluation. Bref, si vous voulez trouver un outil, vous tomberez dessus, c’est certain !

Des témoignages très « coaching compatibles »

Pourquoi un coach parle-t-il de cet ouvrage me direz-vous ? Car à plusieurs reprises, le coach s’est retrouvé dans ses lignes. Sur la question du sens, les responsables en sont porteurs comme l’a écrit Vincent Lenhardt [2] dans cet ouvrage de référence sur le coaching d’organisation. Patrick Négaret évoque des facteurs déclencheurs dans sa démarche (ici, l’absence de décision) qui peuvent rendre fou sauf à savoir rebondir par ses ressources intérieures ou l’aide d’un coach qui utilisera des outils cognitivo-comportementaux. C’est aussi un ouvrage anti-procrastination. L’auteur veut toujours passer de l’intention à l’action, ce qui parle bien au coach qui porte un métier fondé sur une praxéologie (théorie de l’action) où l’on soutient le coaché qui se lance, qui tente. Il évoque le bon sens, l’importance de se lancer d’abord. Patrick Négaret fait du coaching sans le savoir lorsqu’il écrit en page 78 que ce sont les comportements des acteurs qui se transforment, bien plus que les organisations. Il évoque les neurosciences et des facteurs de reconnaissance ce qui m’a renvoyé à la théorie des organisations d’Eric Berne, aux travaux d’Edward Deci et Richard Flaste sur la motivation. L’ouvrage évoque la demande de contrôle (illusoire) dans les organisations et le besoin d’autonomie des personnes. J’ajouterais que le contrôle de l’organisation sur elle-même conduit aussi à une injonction de contrôle sur soi, de toute puissance. Et que l’autonomie nécessaire dans l’organisation exige aussi d’accepter une certaine forme de lâcher prise vis-à-vis de soi-même. Les développements sur la relation au temps m’ont frappé. Si parfois on comprend qu’il aurait souhaité accélérer (notamment sur la formation des managers), l’ouvrage tresse un éloge du temps plus lent pour mieux ancrer les choses. En coaching, la course au temps passe parfois par la compréhension de l’enjeu paradoxal de suspendre un peu la frénésie.  Une réflexion dans l’ouvrage sur le besoin d’un retour préalable à soi avant d’aller vers l’harmonie collective est une démarche de coaching qui travaille l’amélioration de sa relation aux autres en commençant par là.

Ecouter pour se comprendre

Ce qui m’a peut-être le plus touché en tant que coach et dirigeant moi-même, c’est le constat de l’auteur, manager expérimenté, selon lequel on ne s’écoute pas suffisamment pour se comprendre au travail mais pour répondre (voire au-delà du travail). J’aurais aimé qu’il explore encore davantage ce point nodal à l’heure du tweet, des réseaux sociaux… Pour moi, l’écoute pour comprendre est la base de tout échange, une sorte de « danse humaine » interactive. Elle permet d’entrer dans le monde de l’autre pour s’en enrichir. C’est une qualité rare qui se danse à plusieurs. L’écoute pour répondre est parfois une nécessité (dans un entretien d’embauche par exemple) mais elle peut aussi porter une volonté de l’emporter, d’imposer, d’avoir raison sur l’autre. Ce n’est plus une danse, c’est le bal des égos.

Un ouvrage de convictions

Au début de l’ouvrage, on évoque les peuples premiers chez qui priment l’idée que toute action doit servir le collectif. On dirait aujourd’hui que c’est ce qui faisait sens pour eux. A la Cpam, cette recherche du sens n’est venue qu’à la « fin » de la démarche pour monter du terrain et servir le collectif. Tout au long de ce récit, on sent que l’épopée de Patrick Négaret est très politique, au sens véritable du terme, lui qui se méfie des idéologies et leur préfère l’engagement. Sa conviction se livre à la toute fin de son ouvrage, simple et si forte : « C’est alors qu’on réalise qu’il est toujours possible de faire société pour mieux vivre ensemble, et pas seulement pour mieux vivre que les autres ».

Patrick BOÏS

2 avril 2021


[1] Négaret, Patrick (2021). Il suffisait de leur donner envie… Libérer les énergies dans une organisation publique. Paris : Presse des Mines – Collection Libres opinions

[2] Lenhardt, Vincent (2018). Les responsables porteurs de sens. 5ème édition. Paris : Eyrolles