Le recrutement ou la bonne alchimie de la diversité des compétences

En tant recruteur, j’ai réalisé de nombreux entretiens de recrutement, très souvent réussis, quelques erreurs aussi. Quelle qu’en soit l’origine, les échecs qui m’ont le plus marqué sont ceux où au moment du recrutement un doute avait germé. Comme si une petite voix intérieure me disait a posteriori : « j’en étais sûre ! ». Avec l’expérience, j’ai proposé une règle de recrutement que l’un de mes anciens patrons m’avait suggéré un jour : dans un jury, si l’un des membres hésite sur un candidat, c’est que le poste n’est probablement pas fait pour lui. Inconsciemment, j’avais mis en pratique une intuition selon laquelle une partie de la perception des compétences passait par d’autres vecteurs que la parole ou la réflexion… Depuis, j’ai découvert que les sciences humaines avaient beaucoup progressé et font sens avec cette intuition d’alors.

Le recruteur, cet alchimiste de l’humain

Dans un article précédent, j’ai qualifié le recrutement de process créatif, à mi-chemin entre l’art et sa démarche de création où la spontanéité tient une place essentielle pour produire une œuvre unique et le process où l’enchaînement méthodique des étapes d’un bout à l’autre du mode opératoire permet d’obtenir un produit conforme aux attentes. Si la compétence est objectivable par un process, le recrutement est… et doit rester une expérience unique.

Le recruteur serait donc une sorte d’alchimiste, sachant transformer tous les potentiels humains (le « plomb ») en talents (« l’or ») pour l’organisation. En même temps, il applique aussi un protocole éthique, en offrant une garantie d’équité de traitement aux candidats et juridique, en respectant les dispositions du code du travail qui interdit toute forme de discrimination à l’embauche, préserve la vie privée… bref, le corpus de nos libertés publiques et individuelles.

Le recrutement, une science molle

Si l’on veut parler d’une « science du recrutement », alors il s’agit d’une science molle ; elle croise plusieurs approches pour être la plus efficace car elle est probabiliste et devient multifactorielle. Plusieurs éléments agissent sur le système en même temps pour s’auto-influencer. Par exemple, comment recruter un « esprit d’équipe » chez un futur manager ?

Les recruteurs l’ont appris intuitivement : ils multiplient déjà les sources d’informations, …à tel point parfois qu’ils peuvent s’y perdre et que le mieux devient l’ennemi du bien. Ils remettent les choses en perspective en revenant aux fondamentaux : l’évaluation des compétences du poste et de la personne. Nous en avons déjà parlé dans un article précédent. Pour devenir plus technique, on va parler de savoirs (je connais), de savoir-faire (je sais mettre en œuvre la connaissance issue de mon savoir), de savoir-être (je sais adapter mon comportement pour déployer au mieux mon savoir-faire).

 

Cela peut aussi renvoyer à l’évaluation des connaissances dans le cycle d’apprentissage du modèle de Maslow, qui évalue les choses à un instant T. Elle permet d’estimer la compétence autrement, par l’évaluation des potentiels ou bien l’état de conscience.

L’adéquation des savoirs aux postes

Rien ne serait plus risqué que le recrutement d’un professionnel sans les qualités pour réaliser la tâche à accomplir. Quand bien même l’organisation peut le former, ce serait mettre ce professionnel en difficulté que de le projeter sur un poste sans aucune des compétences requises. Cette inadéquation se révèle parfois comme l’une des difficultés majeures de notre marché du travail que l’on voit bien resurgir après certains plans sociaux. Ce serait également mettre en difficulté le client ou l’usager qui serait exposé à des services non qualitatifs. Ces compétences « dures » trouvent leur origine dans un diplôme, un certificat professionnel, une expérience validée dans un CV, des recommandations… Dans ce cadre, l’adéquation des compétences au poste est assez aisée pour autant que la description du poste soit suffisamment qualitative. A défaut, un mode de recrutement par les habiletés ou une immersion peut offrir une alternative relativement efficace.

L’adéquation des caractères aux postes

Il est également nécessaire d’évaluer la personnalité de la personne que l’on peut définir comme une combinaison d’attitudes et de comportements chez la personne, de caractéristiques émotionnelles aussi. Si le caractère est important au quotidien alors on doit y être attentif au recrutement. Evitons de projeter quelqu’un d’introverti dans un poste hyper relationnel alors qu’il sera bien plus efficace dans des activités requérant des compétences d’observation, d’analyse et de prise de recul voire d’attention aux autres dans un format plus intime. Et évitons l’inverse aussi car l’extraverti pourrait passer pour envahissant… Sachez aussi faire confiance aux conseils de votre bon sens et à vos émotions qui sauront vous alerter au-delà de votre raisonnement rationnel.

L’évaluation de la motivation et de l’engagement

La motivation mérite d’être évaluée ; il ne s’agit pas d’un capital fixe préexistant mais plutôt d’une posture favorable à l’intégration de la personne dans le poste de travail, dans l’entreprise, sa culture, son corpus de normes et de valeurs… La vision du monde de la personne sera un élément important pour faire un pronostic de sa cohabitation avec la vision du monde de l’organisation. Dans un monde professionnel plus instable, la question de la loyauté -sorte de clauses de non-concurrence ou de fidélité du salarié un peu dépassées- vis-à-vis de l’organisation évolue ; on parle davantage aujourd’hui d’engagement du salarié. L’engagement est une compétence d’accompagnement des transformations dans l’entreprise, d’innovation et de développement d’un esprit critique constructeur de valeurs, d’une capacité à travailler en mode collaboratif pour créer une chaîne de valeur fondée sur la coopération. L’évaluation de cette compétence de l’engagement est une clé importante aujourd’hui. Les approches innovantes portées par de nouveaux acteurs comme « Engagement et Performance » sont intéressantes. Ses cofondateurs considèrent que le levier essentiel de la performance durable aujourd’hui dans l’organisation se trouve dans l’engagement des acteurs.

Soyons concrets me direz-vous? Partons du monde sportif pour donner un exemple d’éléments de motivation et d’engagement. Chacun comprend qu’un sportif de haut niveau « cochera la case » ou pas de cette compétence selon sa propre capacité à partager cette ontologie de l’équipe et selon sa capacité à envisager ses propres performances dans le cadre du dépassement de celles de l’équipe. Ce sera la même chose pour un salarié qui serait amené à travailler en équipe, en mode agile, en équipe pluridisciplinaire, en mode design thinking ou design sprint… Cela fait beaucoup de monde. Ces compétences sont à la fois en soi et plus fortes que soi.

Des conseils ? Pondérer votre évaluation des compétences dures d’une part et de compétences douces d’autre part. Croiser les regards pour mixer les points de vue. Sachez écouter les signaux faibles. Penser à interroger de façon très ouverte les recommandations, elles vous en apprendront plus que vous ne l’imaginez.  Et surtout, à la fin, restez maître du jeu. Bon recrutement !

Patrick BOÏS (article publié sur LinkedIn le 2 mars 2021)