Les compétences comportementales qui ont le vent en poupe

Il y a quelques années alors que j’enseignais le droit du travail à des étudiants de master, j’avais créé de l’émoi dans mon cours en répondant à une question sur l’importance du diplôme au recrutement. N’arrivant pas à convaincre mes étudiants de l’excès de leur croyance en la supériorité systématique du diplôme pour exprimer toute compétence, je me rappelle avoir illustré mon propos « en creux » en citant le cas de deux jeunes recrues avec le même diplôme dans mon équipe depuis une année. Parlant avec mon expérience, j’indiquais très simplement que si le diplôme était le seul élément qui comptait alors je ne pouvais pas m’expliquer pourquoi entre ces deux personnes au même profil, l’annonce du départ de l’une d’entre elles me rendrait très inquiet et pas du tout la seconde. En l’illustrant de quelques exemples du quotidien, j’avais réussi à faire mouche auprès d’un auditoire totalement rétif au début de l’échange.

La question de fond : comment arriver à choisir parmi des candidats compétents ?

C’est devenu le sujet, depuis l’élévation générale du niveau de formation depuis 50 ans. L’immense majorité des candidats disposent d’un solide bagage de savoirs voire d’expériences. Comment arriver donc à faire la différence ? J’ai relevé dans plusieurs études que le savoir-être figure aujourd’hui en première position des critères des recruteurs avant même l’expérience professionnelle et loin devant le diplôme. Les diplômes en alternance se développent probablement pour cette raison car ils facilitent le développement d’autres formes de compétences.

Le savoir être arrive en première place des critères de recrutement (82%) selon le baromètre RégionsJob de 2017 publié sur le site « Parlons RH ». L’expérience professionnelle suite juste derrière à 78%, le diplôme n’interviendrait qu’à 9%.

Une autre étude de 2021 montre que la première qualité attendue pour le recrutement d’un conseiller bancaire ou en assurance est sa… capacité d’écoute.

Les apports des recherches sur les compétences douces

A l’intersection entre les compétences et la personnalité se trouvent ce que l’on appelle aujourd’hui les soft skills, les compétences douces. J’y mets les compétences comportementales, transversales et humaines telles que la confiance en soi, la créativité, le sens du collectif, l’esprit de conquête ou l’intelligence émotionnelle… Elles se construisent à partir de notre histoire, notre parcours de vie, nos expériences professionnelles et vont définir notre habileté à nous adapter plus ou moins à l’environnement de l’entreprise, à sa culture et ses modes relationnels mais aussi sa structure hiérarchique. Elles nous aident à « voir le monde », prendre nos décisions, nous mettre en action… Une étude conduite auprès de 450 responsables RH français publiée par Job Board Monster le 6 décembre 2018 montre que, pour plus de la moitié des recruteurs, les compétences émotionnelles sont désormais un critère déterminant dans la décision de recrutement.

Elles deviennent une valeur sûre pour diverses raisons. 1) Lorsqu’on se sent à l’aise dans son environnement de travail, on y déploie son meilleur. 2) L’obsolescence des compétences techniques (hardskills) s’accélère alors que les compétences douces sont plus constantes et permettent à la personne de mieux négocier son adaptation aux besoins de nouvelles compétences techniques. 3) Les compétences douces favorisent aussi un « état d’esprit de croissance », selon les travaux de Carol Dweck (Mindset), qui aide le salarié à tirer profit des contraintes et en faire des opportunités de développement.

Les grandes catégories de soft skills

En français, on parlera de compétences comportementales voire de compétences émotionnelles. C’est le célèbre psychologue américain Daniel Goleman qui fut l’un des précurseurs en la matière et qui a repéré cinq grandes catégories de soft skills.

On évoque la conscience de soi et la confiance en soi. Une certaine forme de maturité émotionnelle est donc nécessaire, notamment dans des fonctions managériales et de leadership qu’un travail de développement personnel (coaching par exemple) peut accompagner.

On évoque ensuite l’empathie, cette capacité à comprendre les émotions et les sentiments par une écoute profonde et une facilité à se mettre à la place de son interlocuteur. Cette question renvoie à une forme de sensibilité sociale, de compréhension d’autrui, de serviabilité aussi.

On parle ensuite de la motivation interne qui se traduit par l’engagement du salarié, son esprit d’initiative, son optimisme. Le sujet dépasse largement la question des signes matériels de motivation tels que le salaire mais aussi le sens que l’on met dans son engagement professionnel et sa propre réalisation. On parle encore de maîtrise de soi. C’est une qualité propice au contrôle de ses émotions et de ses sentiments pour éviter l’envahissement par exemple. Elle aide aussi à avoir un bon recul pour remettre en cause le regard des autres ce qui favorise la fiabilité, l’innovation, l’adaptabilité… et la conscience professionnelle. On évoque aussi la maîtrise des relations humaines c’est-à-dire la capacité à construire des relations humaines et interpersonnelles de qualités dans le monde professionnel pour une cocréation de résultats. On parle alors d’influence, de médiation, de charisme, de collaboration et de capacité de mobilisation.

De ces 5 domaines, Goleman déduit 25 compétences associées. Gardons en tête qu’on traite ici des moteurs internes à chacun d’entre nous qui nous donnent notre énergie.

Les qualités douces au top

Plusieurs enquêtes réalisées ces dernières années montrent des lignes de force où les qualités d’adaptabilité et d’agilité voire de créativité sont reconnues. Après trois confinements, il est probable qu’elles restent fortement mises en avant. Les compétences d’autonomie et de rigueur sont aussi plébiscitées. La question de la motivation, de l’esprit d’équipe, des qualités relationnelles arrivent ensuite. Tout comme la force de proposition. Bref, on le comprend bien, ces compétences peuvent trouver leur source aussi « à côté du CV », dans une passion, un hobby, des talents cachés. On sera peut-être surpris de découvrir une compétence d’éloquence chez un collaborateur par ailleurs comédien amateur au théâtre. C’est une compétence qui peut aussi faire la différence dans certains emplois.

Plus fort encore : les mad skills

Voilà qu’une nouvelle génération de recruteurs s’intéresse maintenant aux « mad skills ». Il s’agit à nouveau de compétences liées aux savoir-être, distinctes des hard skills. Ces compétences comportementales particulières présentent des spécificités de grande rareté souvent acquises en dehors du cadre professionnel : des soft skills atypiques susceptibles de distinguer les candidats aux yeux des recruteurs ! On peut en citer quelques-unes comme la capacité à se tromper et parler des enseignements de ses échecs. Lisez « les vertus de l’échec » du philosophe Charles Pépin pour mieux cultiver l’art de rebondir… Parlons encore de l’altruisme, la capacité à se mobiliser pour le bien d’autrui, utile pour faire grandir son entourage professionnel.

Encore faut-il…

La connaissance a beaucoup évolué sur le sujet, permettant une prise de conscience pour s’y intéresser, au-delà des effets de mode. Restons ainsi conscients que les compétences comportementales ne sont ni les seules, ni exclusives. Encore faut-il être capable de repérer ces softs skills. Cela peut se faire sur le CV ou dans les recommandations. En entretiens, il conviendra d’être attentif aux mises en situation du candidat pour évaluer la façon dont il décrit une situation qu’il a affronté, sa capacité à prendre du recul, sa capacité d’expression, sa réaction au stress… Encore faut-il être conscient des besoins de soft skills pour le poste que l’on recrute et se former pour ce travail d’identification.